Le quatrième mur
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Samuel était arrivé dans nos vies alors que nous étions jeunes et révolutionnaires. On savait de lui qu’il était grec, et qu’il avait fui son pays du fait des colonels. C’était devenu mon ami, nous luttions ensemble pour qu’existe un monde meilleur. Nous parfois avec insouciance, lui toujours avec sérieux.
Et puis je me suis marié, et nous avons eu une fille. J’ai changé ma vision sur la construction d’un monde meilleur. Et puis Samuel est venu me demander de l’aider.
Il avait le projet de monter l’Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth, avec des acteurs de chacune parties au conflit. Il avait commencé, et trouvé les acteurs principaux. Et puis il avait appris qu’il avait un cancer. En phase terminale. Alors, il fallait que j’aille finir le boulot, négocier avec chaque partie un lieu neutre pour les répétitions et le spectacle, la participation des acteurs, peut-être aussi un cessé le feu pour la représentation.
Tout seul, sans parler un seul mot d’arabe.
Je suis allé à Beyrouth une première fois, négocier au nom de mon ami mourant, rencontrer tous les acteurs, et leur offrir un exemplaire du livre. Le projet a pris forme.
Je suis retourné à Beyrouth, quelques semaines plus tard, pour monter une répétition. Qui s’est faite. Malgré la haine entre les personnes, les personnages se sont mis à exister. Et puis il y a eu Sabra et Chatilla. Antigone a été violée et tuée, j’ai vu son corps supplicié, attaché avec des barbelés.
Je suis revenu à Paris, mais mon cœur est resté à Beyrouth. Au point que je ne pouvais plus vivre sans y être. J’y suis retourné. Les autres acteurs aussi étaient morts, parfois sans qu’ils le sachent, mais leurs yeux vides ne trompaient pas. Et moi aussi, je suis resté. Mort.
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