Rare de lire un livre qui ait un tel pouvoir. Tout est bon, dans cet opus, un équilibre total entre le style et l’histoire, l’auteur et le lecteur. Fabuleux.
Et pourquoi ? Houlà, pas simple.
D’abord le style. Deux faits essentiels :
- il s’agit d’une narration à la première personne. On y voit donc le style classique de la biographie. Mais vite, on s’aperçoit qu’on est plusieurs, derrière l’épaule du narrateur : le lecteur, certes, mais aussi comme une autre présence, floue, à la fois Holden (le héros) adulte refusant de grandir tout en sachant qu’il le doit, et un autre, inconnu ;
- ensuite un vocabulaire et des formulations extraordinaires de saveur. Un langage très simple, presque parlé, mais exprimant avec une force énorme les émotions de l’adolescent, que l’on ressent physiquement en soi. Violence, attirance pour les autres et refus de se montrer... Ce qui est déjà beaucoup, mais est en plus complété par des formules chocs, lapidaires, résumées improbables d’aphorismes adolescents, mais éternels. Et pour finir, une adaptation, un changement du vocabulaire, de son débit, en fonction des situations.
L’histoire, direz vous ? C’est encore mieux. D’abord la révolte d’un adolescent face au monde des adultes, qu’il ne comprends pas. La relations aux femmes, tant les amies, les mères, la prostituée, vue comme une sorte de métaphore d’attirance et de répulsion sexuelle. Puis, plus doucement, le désarroi de ce même adolescent dans ses relations aux autres, les amis, Jane, Sally. Les inhibitions, les incompréhensions, comprises mais pas acceptées, et qui rejaillissent en violence verbale. Le rapport au corps aussi, le sien malingre. Ceux des autres, boutonneux (les pauvres) ou musclé (les enfoirés). Et puis les blessures. La relation aux parents, cassée, au frère mort, essentiel, au frère vivant, présent/absent, à la petite sœur, seule femme acceptée, finalement, et presque mère de remplacement.
Tout est mobilisé autour d’une histoire, celle d’un adolescent perdu. Qui nous montre aussi comment est la société. Plus de panneaux, plus de repères, pour ramener les perdus.
C’est là, je pense, que réside la plus grande valeur de ce livre : Que nous dit JD Salinger ? que l’adolescence est un sale moment. On le sait tous , on a tous été adolescent. Il utilise toute notre expérience de lecteur pour mous l’intimer avec force, efficacité et violence.
Mais aussi que c’est encore plus dur. Qu’il n’y a plus de lien social. Qu’on est tous seuls, avec juste peut-être, une petite sœur, qui de toute façon, deviendra grande.
J’ai lu sur le net que ce livre est l’histoire de la dérive d’un ado. Je ne suis pas d’accord. L’adolescent s’en sortira. Mal, mais il s’en sortira. La société dans laquelle il vit, par contre... Pour moi, c’est plus l’histoire de la dérive d’une société.
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